POSITIVISME
AUGUSTE COMTE CONTRE L'ECOLE


    Contrairement à ce que l'on imagine souvent, le philosophe Auguste Comte (1798 - 1857) - tout en attachant une importance de tout premier plan au problème de l' « éducation universelle » - n'était pas un partisan de l'école. Il avait personnellement gardé le plus mauvais souvenir de ses années d'enfance, passées comme interne au lycée de Montpellier et soustraites de ce fait à la vie de famille et à ses influences équilibrantes et moralisatrices. C'est pourquoi il n'a cessé toute sa vie durant de condamner les « cloîtres scolastiques » (les écoles) et de prôner à leur place l'instruction des enfants au sein des familles, sous la direction des mères. Car selon lui, « le précepteur le plus éminent, même par le cœur, sera toujours au-dessous de toute digne mère ».

Système de politique positive, I, 243.


    « Depuis la naissance jusqu'à la majorité, son ensemble (Comte est en train d'exposer son Plan d'éducation positive) comprend deux parties générales : l'une essentiellement spontanée, finissant à la puberté ou au début de l'apprentissage industriel (donc vers quatorze ans), doit s'accomplir, autant que possible, au sein de la famille (...) ; l'autre, directement systématique, consistera en une suite publique de cours scientifiques sur les lois essentielles des divers ordres de phénomènes, servant de base à la coordination morale, qui fera converger toutes les préparations antérieures vers leur commune destination sociale. (...)
    La seconde éducation positive ne saurait demeurer purement domestique, puisqu'elle exige des leçons publiques, où la plupart des parents n'auront jamais qu'une participation accessoire. Mais cette nécessité ne doit pas conduire cependant à priver l'enfant de la vie de famille, qui ne cesse point alors d'être indispensable à son évolution morale, dont les exigences doivent toujours prévaloir. Il peut aisément suivre les meilleurs maîtres, sans exposer sa moralité personnelle et domestique aux altérations presque inévitables que déterminent nos cloîtres scolastiques. Les contacts sociaux qui semblent compenser les dangers privés de ce régime peuvent résulter mieux de libres relations extérieures, où les sympathies sont plus consultées. Cette appréciation, qui rend à la fois plus facile et plus parfaite l'éducation populaire, ne peut cesser de convenir qu'envers certaines professions, dont l'éducation spéciale continuera peut-être d'exiger la clôture collective. Je doute même que cette obligation reste finalement indispensable pour ces cas exceptionnels. »

Système de politique positive, I, 172-5


    On admirera au passage comment Auguste Comte répond dans le texte qui précède à tous ceux qui attribuent à l'école un rôle socialisateur prétendument irremplaçable !
    « Les enfants ne sauraient être élevés contrairement aux opinions paternelles, ni même sans leur assistance. »

Système de politique positive, I, 181


    « Les cloîtres scolastiques, toujours funestes, ne sauraient s'éteindre avant la fin de la transition occidentale, qui seule fera partout prévaloir l'éducation domestique sur l'instruction publique. Cependant, sans entraver aucunement les instituts pédagogiques, le gouvernement ne doit jamais encourager un usage qui manifeste et développe l'incurie des familles modernes envers le premiers de leurs devoirs. »

Système de politique positive, IV, 388


    L'ironie du sort a voulu que ce soit pourtant par un disciple (très infidèle, il est vrai) d'Auguste Comte, Jules Ferry, qu'ait été par la suite organisé en France le système d' « instruction publique » (rebaptisé depuis « éducation nationale ») que nous subissons aujourd-hui. Système dont on peut dire sans exagérer qu'il est complètement à l'opposé des conceptions éducatives d'Auguste Comte.
    Mais peut-être est-ce quand même à l'influence, plus ou moins consciente, d'Auguste Comte sur Jules Ferry que nous devons d'avoir, malgré tout, une législation scolaire plus libérale que beaucoup d'autres nations du monde occidental. Puisqu'elle reconnaît explicitement que l'instruction peut être donnée « dans les familles, par le père de famille (le rôle directeur de la mère a quand  même disparu !) lui-même ou par toute personne qu'il aura choisie » (loi « Ferry » du 28 mars 1882).

Emmanuel Lazinier
Président de la
Société positiviste internationale
7, allée du Parc-de-la-Bièvre
94 240 L'Haÿ-les-Roses
Janvier 1992