Contrairement à ce que l'on imagine souvent, le philosophe Auguste Comte (1798 - 1857) - tout en attachant une importance de tout premier plan au problème de l' « éducation universelle » - n'était pas un partisan de l'école. Il avait personnellement gardé le plus mauvais souvenir de ses années d'enfance, passées comme interne au lycée de Montpellier et soustraites de ce fait à la vie de famille et à ses influences équilibrantes et moralisatrices. C'est pourquoi il n'a cessé toute sa vie durant de condamner les « cloîtres scolastiques » (les écoles) et de prôner à leur place l'instruction des enfants au sein des familles, sous la direction des mères. Car selon lui, « le précepteur le plus éminent, même par le cœur, sera toujours au-dessous de toute digne mère ».
« Depuis la naissance jusqu'à la
majorité, son ensemble (Comte est en train d'exposer son Plan d'éducation
positive) comprend deux parties générales : l'une essentiellement
spontanée, finissant à la puberté ou au début
de l'apprentissage industriel (donc vers quatorze ans), doit s'accomplir,
autant que possible, au sein de la famille (...) ; l'autre, directement
systématique, consistera en une suite publique de cours scientifiques
sur les lois essentielles des divers ordres de phénomènes,
servant de base à la coordination morale, qui fera converger toutes
les préparations antérieures vers leur commune destination
sociale. (...)
La seconde éducation positive ne saurait
demeurer purement domestique, puisqu'elle exige des leçons publiques,
où la plupart des parents n'auront jamais qu'une participation accessoire.
Mais cette nécessité ne doit pas conduire cependant à
priver l'enfant de la vie de famille, qui ne cesse point alors d'être
indispensable à son évolution morale, dont les exigences
doivent toujours prévaloir. Il peut aisément suivre les meilleurs
maîtres, sans exposer sa moralité personnelle et domestique
aux altérations presque inévitables que déterminent
nos cloîtres scolastiques. Les contacts sociaux qui semblent compenser
les dangers privés de ce régime peuvent résulter mieux
de libres relations extérieures, où les sympathies sont plus
consultées. Cette appréciation, qui rend à la fois
plus facile et plus parfaite l'éducation populaire, ne peut cesser
de convenir qu'envers certaines professions, dont l'éducation spéciale
continuera peut-être d'exiger la clôture collective. Je doute
même que cette obligation reste finalement indispensable pour ces
cas exceptionnels. »
On admirera au passage comment Auguste Comte
répond dans le texte qui précède à tous ceux
qui attribuent à l'école un rôle socialisateur prétendument
irremplaçable !
« Les enfants ne sauraient être élevés
contrairement aux opinions paternelles, ni même sans leur assistance.
»
« Les cloîtres scolastiques, toujours
funestes, ne sauraient s'éteindre avant la fin de la transition
occidentale, qui seule fera partout prévaloir l'éducation
domestique sur l'instruction publique. Cependant, sans entraver aucunement
les instituts pédagogiques, le gouvernement ne doit jamais encourager
un usage qui manifeste et développe l'incurie des familles modernes
envers le premiers de leurs devoirs. »
L'ironie du sort a voulu que ce soit pourtant
par un disciple (très infidèle, il est vrai) d'Auguste Comte,
Jules Ferry, qu'ait été par la suite organisé en France
le système d' « instruction publique » (rebaptisé
depuis « éducation nationale ») que nous subissons aujourd-hui.
Système dont on peut dire sans exagérer qu'il est complètement
à l'opposé des conceptions éducatives d'Auguste Comte.
Mais peut-être est-ce quand même à
l'influence, plus ou moins consciente, d'Auguste Comte sur Jules Ferry
que nous devons d'avoir, malgré tout, une législation scolaire
plus libérale que beaucoup d'autres nations du monde occidental.
Puisqu'elle reconnaît explicitement que l'instruction peut être
donnée « dans les familles, par le père de famille
(le rôle directeur de la mère a quand même disparu
!) lui-même ou par toute personne qu'il aura choisie » (loi
« Ferry » du 28 mars 1882).
Emmanuel Lazinier
Président de la
Société positiviste internationale
7, allée du Parc-de-la-Bièvre
94 240 L'Haÿ-les-Roses
Janvier 1992